Origine de la propriété
L’origine de la propriété actuelle de Chausey remonte loin. Il faut en effet revenir trois siècles en arrière, au 28 juillet 1772 très exactement, date à laquelle le roi Louis XV en fait concession à l’abbé Nolin. Pourquoi ce geste ? D’abord en reconnaissance de ses services rendus, lui qui n’a pas ménagé ses efforts pour mettre les îles en culture. Ensuite parce qu’il a contribué à faire cesser les bruits de neutralité que les Anglais faisaient courir sur Chausey !
Il est vrai qu’à ce moment-là, l’île est délaissée depuis près d’un demi-siècle : plus de garnison depuis la prise de Chausey par l’amiral Howe (1756), plus de carriers ou presque, quelques rares pêcheurs saisonniers, une sorte d’auberge installée dans les ruines du vieux château, tenue par J-B Régnier…
Un an après avoir reçu cette concession, l’abbé Nolin meurt. Ses héritiers, un frère et une sœur, vendent l’île le 15 juillet 1775 à Louis-Jean-Christophe Régnier, fils de l’aubergiste.
Régnier va jouer un rôle important – et réveiller l’activité dans les îles. Outre l’implantation de cultures et la construction de la ferme, d’une étable, d’une boulangerie et d’une chapelle, il développe l’industrie de la soude (les “barilleurs” fauchent le goémon, puis le font cuire, la soude ainsi extraite étant ensuite envoyée sur le continent pour être utilisée par les artisans verriers normands), et favorise la reprise de l’exploitation du granit, depuis près d’un siècle abandonnée.
En 1780, la population de Chausey se compose de 72 personnes : 40 soudiers, 12 carriers et les proches de la famille Régnier. La ferme, elle, compte 4 chevaux, 22 bêtes à cornes et près de 150 moutons.
Malheureusement, Régnier disperse trop ses efforts et finit par se ruiner – ce qui l’amène à se séparer des îles…
Le 12 juillet 1786, Chausey est ainsi vendu à Jacques Pimor, un des principaux négociants de Granville, qui poursuit l’oeuvre entreprise.
La Révolution marque un temps d’arrêt dans le développement industriel de Chausey. Il fallut attendre la Restauration pour que reprenne la fabrication de la soude grâce à l’exploitation du varech.
Après le décès de Jacques Pimor, sa succession est partagée entre ses deux fils et sa fille, et réunie peu après en une seule main, celle de monsieur Harasse, gendre de son fils aîné – et bientôt seul héritier des Pimor.
Celui-ci oeuvre beaucoup pour Chausey : vers 1825, il fait venir des gens de Blainville-sur-Mer (les fameux Blainvillais) pour développer l’industrie de la soude et emploie des carriers de Bretagne qui atteignent bientôt le chiffre de 400 ! A cette époque, 37 îlots sur 53 sont habitées – et les derniers gros bâtiments sont érigés : phare, fort Vauban, presbytère, chapelle, grande cale et sémaphore.
En 1860, demande est faite par l’Etat d’occuper la partie Sud-Est de l’île pour y construire le nouveau fort Vauban. Faute d’accord financier avec les propriétaires de l’époque, survient l’expropriation de cette parcelle située en haut de la pointe de la Tour.
A partir de la fin du XIXe siècle, les activités ne cessent de décroître. Des nouveaux procédés de fabrication de la soude font disparaître les soudiers, et l’amélioration des moyens de transport par terre fait partir les carriers. Une à une, les îles sont abandonnées et rendues à leur silence.
En 1891, la propriété des îles change, sinon de famille, au moins de titulaire. Monsieur et madame Harasse ont eu une fille, qui épouse monsieur Hédouin, armateur à Granville. Le domaine entier de l’archipel se trouve ainsi réuni entre leurs mains par l’acquisition du dernier quart possédé par les Daguenet-Hugon.
Madame Hédouin, qui a longtemps survécu à son mari, laisse comme héritières deux filles, Marie et Léonie Hédouin, à qui incombe la tâche difficile d’administrer un tel domaine.
Le 10 mai 1919, Léonie Hédouin, dernière “reine des îles”, s’éteint. Six mois auparavant, elle a vendu Chausey à une Société Civile Immobilière composée de trois familles, les Durand de Saint Front, les Crosnier et les Fortin. Ce dernier voulant investir dans son entreprise vend ses parts à Louis Renault en 1921. L’industriel meurt en 1944. Sa famille vend ses parts dans les années 70 à une famille chausiaise. Se constitua ainsi ce qui est le fondement de la SCI aujourd’hui. Cent ans et quatre générations plus tard, trois familles se répartissent à part égale le capital de la société. Trois gérants représentant chacune des familles en assure la gestion. Propriétaire de l’ancienne ferme et de la chapelle, elle l’est aussi d’une vingtaine de maisons. Celles-ci sont louées à des résidents secondaires mais aussi, pour sa majeure partie, à des pêcheurs, anciens pêcheurs encore actifs ou à des professionnels de la mer.