La Grande Ile

La taille étant, en géographie plus qu’ailleurs, une notion toute relative, la Grande Ile n’est ainsi baptisée que parce qu’elle est la plus vaste de l’archipel – et non pour ses colossales dimensions. Jugez-en plutôt : à peine un kilomètre et demi de long, pour un maître-bau qui varie de 500 à… 50 mètres ! Cela dit, vallonnée et boisée, elle présente une appréciable diversité de paysages. Ainsi, dans le chemin creux et humide, bordé de grands arbres et de champs clos, qui mène sur la lande de Bretagne, il est impossible de voir la mer – et l’impression de marcher au cœur du bocage normand est saisissante. Sur la pointe de la Tour, en revanche, pins maritimes, jardins rocailleux, villas blanches et végétation grasse rappellent immanquablement les plus belles cartes postales méditerranéennes.

Si l’on excepte l’île d’Aneret, qui abrite une petite habitation, la Grande Ile est la seule à être peuplée. Une cinquantaine de maisons – les plus typiques, basses et étroites, portent murs de granit roux, huisseries peintes en vert et toit d’ardoises bleu-nuit – se partagent les lieux, reliées par un mince réseau de chemins pierreux ou sablonneux, qui serpentent entre les buissons de genêts et les touffes d’ajoncs. Les routes sont ici inconnues. Les voitures ou les vélos aussi. Seuls circulent le tracteur qui collecte les ordures ménagères, celui de la Société Civile Immobilière, qui entretient l’île, la voiturette électrique de l’Hôtel du Fort et des Iles ainsi que la camionnette de l’épicerie. C’est donc à pied, accompagné du chant des goélands, des vagues et du vent, que le promeneur pourra lentement découvrir les charmes de Chausey…

• Le phare : mis en service le 15 octobre 1847, culminant à 39 mètres au-dessus des plus hautes mers, il lance à 22 milles son éclat blanc toutes les cinq secondes. Avant lui, la pointe Sud de l’île portait une simple tour de guet.

• Le Fort : mis en chantier en 1859 sur ordre de Napoléon III, achevé en 1866, mais déclassé dès 1906, le Fort a abrité 300 prisonniers allemands et autrichiens pendant la Première Guerre mondiale – et une petite garnison du IIIe Reich pendant la Seconde. Il abrite aujourd’hui des familles de pêcheurs qui y vivent toute l’année.

• Les tours Baudry et Lambert : deux étranges maçonneries (l’une tronconique derrière l’Hôtel du Fort et des Iles, l’autre pyramidale située à 200 mètres dans le Sud-Est de la première) s’élèvent sur le chemin qui conduit au phare. Ces tours ont été érigées au milieu du XIXe siècle, afin de mettre un terme aux querelles entre Granvillais et Cancalais quant à leurs zones de pêche, notamment pour les huîtres. En effet, l’alignement de ces deux amers séparait la baie du Mont-Saint-Michel en deux. Les jours de pêche, un bateau officiel mouillait sur cette ligne de démarcation et veillait à ce qu’elle soit respectée. Les tours ont tiré leur nom des deux gardes-jurés, Baudry et Lambert, qui faisaient partie de la commission maritime chargé de définir ce délicat alignement…

• La Grande Cale : réservée aux pêcheurs et aux vedettes qui viennent du continent, elle a été construite au début de la Première Guerre mondiale par les 300 prisonniers allemands et autrichiens alors détenus au Fort. La Grande Cale venant à sec au jusant, un appontement de bois, utilisable au bas de l’eau, a été construit en 1966.

• La Chapelle : elle a été bâtie vers 1850, lorsque 500 carriers peuplaient l’archipel. Magnifiquement éclairée par les vitraux d’Yves Durand de Saint-Front (fils de Marin-Marie), réalisés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la chapelle abrite aujourd’hui les statues de sainte Anne et de saint Benoist, un bel autel Louis XIV et deux maquettes de voiliers, dont un très beau trois-mâts, offertes en ex-voto. Le dernier curé de Chausey, le regretté père Delaby, grand médecin des âmes et infatigable bricoleur, a quitté sa petite paroisse en 1981 – et n’a jamais été remplacé.

La ferme : ce fut sans doute l’un des premiers bâtiments édifiés sur l’île, puisqu’il est mentionné dès 1736 sur la carte de Meynier. Le dernier fermier de l’île a quitté les lieux en 1990, emportant avec lui le troupeau de vaches en liberté qui se baladaient dans l’archipel à marée basse et se désaltéraient en buvant l’eau de pluie recueillie par les doris et les annexes.

• Le village des Blainvillais : il est ainsi nommé car ses maisonnées couvertes de chaume, construites vers 1825, ont d’abord accueilli des barilleurs et des carriers de Blainville (petite ville de la côte Ouest du Cotentin). La plupart d’entre eux sont ensuite devenus pêcheurs. A la belle saison, ils venaient traquer bouquets et crustacés, s’installant dans ces petites maisons basses dont Louis Renault finança la rénovation entre les deux guerres.

• La Petite Cale : située au bout de l’anse des Blainvillais, cette étroite construction de granit, qui pénètre à angle droit dans le Sound, est baptisée “cale à Vergne” par les Chausiais. C’est en effet monsieur Vergne, gérant de l’Hôtel des Iles, qui a fait réaliser cet ouvrage dans les années 20, afin de faciliter le débarquement de ses clients depuis les vedettes venues de Granville. La Petite Cale sert aujourd’hui aux plaisanciers et aux pêcheurs.

• Le Pont : cette anse bien abritée, située entre les Blainvillais et le Château, est le lieu d’hivernage de la plupart des doris et canots chausiais. Fermée par une chaussée de 66 mètres protégée d’un parapet de granit, édifiée au début du XVIIIe siècle afin d’empêcher les grandes marées d’envahir le jardin de la ferme, l’anse est bordée, au Nord, par une longue et basse habitation datant des années 1890, qui, jusqu’en 1925, abritait les annexes de l’Hôtel des Iles, baptisées les Gerbettes, les Algues ou les Genêts…

• Le Château : son histoire a déjà été évoquée plus haut. C’est Louis Renault, tombé amoureux de Chausey (il fera partie de la SCI et le Château restera propriété de la famille jusqu’en 1978), qui a restauré la forteresse, avant de lui adjoindre la curieuse piscine taillée dans le granit à ses pieds et le hangar à bateau, aujourd’hui en ruine, sous le sémaphore. Le Château, qui appartient maintenant à une des trois familles de la SCI, ne se visite pas.

• Le sémaphore : édifié en 1867 au sommet de la colline de Gros-Mont (point culminant de la Grande Ile avec 31 mètres d’altitude), il est désaffecté depuis 1939. Avec ses murs blanchis, le sémaphore constitue un amer précieux, visible de presque tout l’archipel.

• Les curiosités historiques : Chausey a connu des populations mégalithiques, de nombreux témoignages l’attestent. A côté de la Chapelle, la “Pierre du Sacrifice”, sorte de petit dolmen, a été dégagée voici une vingtaine d’années par l’abbé Delaby. Par ailleurs, chambres funéraires, pierres levées et cromlechs sont encore parfois visibles sur Gros-Mont, l’île à Choux (autre nom du Grand Epail) ou la Genétaie (à l’Ouest du sémaphore). Par ailleurs, la source située dans le chemin creux qui conduit sur la lande de Bretagne a toujours soulevé une double interrogation quant à la provenance de son eau douce et la signification des lettres (PPGV) gravées sur son linteau de granit. La légende veut qu’on ait retrouvé des pièces romaines au fond du puits… Enfin, un cromlech vieux de 5 ou 6000 ans a été récemment découvert au Nord de l’île du Grand Colombier. Ce cercle de pierres de 12 mètres de diamètre devait être, selon les archéologues venus sur place, un monument funéraire recouvert d’un tumulus de terre. Mais garde son mystère…

• Les plages : Chausey compte six plages de sable blanc et fin. Les trois plus grandes sont dévolues aux touristes et à la baignade : Port-Marie, Port-Homard (au pied du Château) et la Grand-Grève. Les trois petites anses sont plutôt réservés aux bateaux chausiais : Port à l’Ane (ou anse à Marin, car située au pied de la maison de Marin-Marie), l’anse des Blainvillais et le havre de Gros-Mont (aussi appelé anse à Gruel ou anse à la Truelle), où reposent les carènes squelettiques de quelques chalutiers finissant là leur longue carrière.

• Les équipements : ils sont réduits au strict minimum. A Chausey, il n’y a ni pharmacie, ni pompe à essence, une épicerie – boulangerie – tabac est ouverte de Pâques à la Toussaint. Côté hébergement, les Jardins de Chausey (la ferme) proposent vingt gîtes du mois de février à décembre. l’Hôtel du Fort et des Iles, tenu par Michèle et Jeannot Lelièvre, ne compte que dix chambres, retenues longtemps à l’avance, et n’est ouvert que de Pâques à la Toussaint. Quatre gîtes installés dans l’ancien presbytère sont ouverts toute l’année mais, là aussi, il faut réserver très tôt auprès de la mairie de Granville. Par ailleurs, le camping est interdit… Deux restaurants sont ouverts en saison : celui qui jouxte l’épicerie (une table simple et très honnête) et celui de l’Hôtel du Fort et des Iles, à la cuisine plus recherchée et aux prix plus élevés. Tous deux font la part belle aux produits de la mer – et bénéficient d’une vue splendide sur le Sound et les îles. Enfin, une citerne d’eau potable est à la disposition de tous sur la Grande Cale…